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Des discussions engagées sur l’avenir de la construction bois
29.09.2025 Construire avec du bois? Naturellement! Le bois est un matériau de choix, une évidence relayée par la 18e Journée de la construction bois Bienne organisée par la Haute école spécialisée bernoise. Le bois est une matière première renouvelable et durable. En outre, on considère désormais son utilisation comme particulièrement efficace. Mais qu’en est-il de la robustesse de la structure porteuse? Les intervenant-e-s ont apporté des éclairages convaincants aux quelque 350 participant-e-s au congrès.
Texte : Dorothee Bauland, Sue Lüthi | Photos : Matthias Käser
Le respect du bâti existant
Exprimant son respect pour le bâti existant, l’architecte Rolf Mühletaler (Rolf Mühlethaler Architekten AG) a inauguré la 18e Journée de la construction bois Bienne par un clin d’oeil à Max Schlup, architecte du Palais des Congrès de Bienne dont le béton, a-t-il souligné, a été coulé dans du bois. Après les mots de bienvenue de Sandra Burlet (Lignum, Économie suisse du bois) et de Cornelius Oesterlee (Haute école spécialisée bernoise), Rolf Mühletaler a abordé le thème « Tenir compte du bâti existant ». Son exposé s’est concentré sur des bâtiments existants jugés dignes d’être conservés pour une utilisation future à Langenthal. Le maitre d’ouvrage est « Langenthaler Wohnbaugesellschaft Langeten AG », une entreprise fondée en 1907 sous le nom de « Gesellschaft für Erstellung billiger Wohnhäuser » (Société dédiée à la construction de coopératives d’habitation bon marché), un principe qu’elle défend aujourd’hui encore. Le bureau d’architectes de Mühlethaler a intégré ce principe dans son travail. « Il s’agit d’apprécier ce qui est à notre disposition », déclare M. Mühlethaler en montrant les plans dessinés à la main des maisons des années 1940. Fort-e-s de cette approche, les planificateurs et planificatrices ont laissé une partie des bâtiments en place, en ont remplacé une autre et ont inséré de nouvelles constructions en bois dans les espaces généreux qui les séparent. Les logements bon marché sont restés dans les bâtiments existants, avec la même isolation phonique et thermique. Ils sont synonymes de modestie et de robustesse sociale, et les locataires se montrent ouvert-e-s aux compromis, a argumenté l’architecte. Les finitions artisanales de qualité, par exemple les meubles encastrés, ont été préservées à chaque intervention. Les plans ont également été conservés et reportés sur les nouveaux bâtiments en bois, réalisés par Hector Egger AG. Les détails de la construction en bois sont simples. Dans l’ensemble, le maitre d’ouvrage peut aujourd’hui confirmer la réalisation d’une utilisation double et n’aurait pas à rougir face au nom originel de la coopérative.
« Il s’agit d’apprécier ce qui est à notre disposition. »
L’ingénieur en construction bois Franz Tschümperlin (SJB Kempter Fitze AG) a souligné la pertinence de la robustesse dans la planification de la structure porteuse. Selon la norme SIA 260:2013 – 1.1, la robustesse « fait partie intégrante de la sécurité structurale et décrit la capacité d’une structure porteuse et de ses éléments à limiter les dommages ou une défaillance à des proportions acceptables par rapport à la cause ». Franz Tschümperlin s’est plongé dans les normes de calcul. Il a émis l'hypothèse que les ingénieur-e-s en construction bois peuvent, dans certaines circonstances, être moins précis-e-s dans la modélisation que ce que supposent les constructeurs et constructrices en bois. Il a cité l’exemple d’un modèle de structure porteuse qui, selon la norme, part du principe d’un comportement élastique linéaire, mais ne décrit que partiellement la réalité. Les effets tels que le glissement, le retrait, le fluage et les tolérances doivent être considérés et pondérés individuellement en fonction des conséquences potentielles, car les ingénieur-e-s en construction bois ne peuvent se faire une idée de la structure porteuse construite qu’avec un modèle. Il importe donc d’autant plus que les constructions soient fidèles aux plans et réalisées dans les règles de l’art.
Des propos confirmés par Andreas Keller de Renggli AG, qui a enchainé sur la nouvelle publication de Lignatec « Structures porteuses robustes dans la construction en bois ». La qualité de la planification devrait être relayée dans celle de l’exécution, a expliqué M. Keller, citant des critères tirés du document Lignatec 37/2024, par exemple pour la protection du bois :
- Distance au terrain et au balcon supérieure à 30 cm
- Protection constructive des éléments porteurs statiques
- Pente des éléments de construction exposés aux intempéries : 15° au minimum
- Choix de l’essence de bois appropriée, coffrages de façade < 120 mm, sections de bois < 30 mm
Les principes déjà énoncés par Rolf Mühlethaler s’appliquent ici aussi : « Le bois est et reste du bois ». Pour assurer la qualité, l’entreprise Renggli a développé un outil qui lui permet de planifier tous les détails dès le début de la phase SIA 31. Une fois son travail terminé, l’artisan en charge du montage le prend en photo et joint l’image au plan en guise de confirmation. Cela permet par la suite d’avoir un aperçu de l’exécution professionnelle de détails recouverts ultérieurement. Les efforts consentis durant les premières étapes de la planification permettent de gagner du temps dans la phase d’offre et d’adjudication. Le succès de cette approche a été mis en évidence dans des bâtiments en bois qui ont très bien vieilli. En outre, M. Keller a souligné l’importance de la mise en réseau de l’ensemble des parties prenantes.
Faits et données
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18e Journée de la construction bois Bienne
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17 septembre 2025
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Palais des Congrès Bienne
- Organisation : Haute école spécialisée bernoise, Bienne
- Organisation partenaire : Lignum Économie suisse du bois
- 16 exposés, 27 intervenant-e-s
- Modération : Cornelius Oesterlee et Stanislas Zimmermann
- 350 participant-e-s
Risque et sécurité dans la construction bois
Selon Dirk Proske (professeur de gestion des risques à la Haute école spécialisée bernoise), certaines sociétés se préoccupaient déjà des aspects juridiques de la sécurité des ouvrages voilà 4000 ans. Vers 2000 avant J.-C., les entrepreneurs encouraient la peine de mort si les maitres d’ouvrage périssaient dans l’effondrement de leur maison. L’évolution de la sécurité dans le secteur de la construction est donc de longue date une préoccupation centrale. « Si nous considérons la période allant de l’Empire romain à nos jours, nous constatons, sur la base d’observations empiriques, nos progrès à cet égard », a indiqué M. Proske, chiffres à l’appui. Toutefois, des bâtiments et des ponts s’effondrent, se sont toujours effondrés et continueront de s’effondrer – hier, aujourd’hui et demain. Les constructions en bois seraient même nettement plus vulnérables que les constructions massives, si l’on analyse le nombre d’ouvrages concernés. Globalement, les ponts en bois présentent un risque d’effondrement significativement plus élevé que ceux construits avec d’autres matériaux. La fréquence des effondrements est environ cinq fois plus élevée, a expliqué M. Proske, justifiant cette différence par leur robustesse moindre face aux inondations et aux chocs. Malgré tout, il est indéniable que les constructions représentent l’une des mesures de protection les plus efficaces de l’histoire de l’humanité.
Structures porteuses robustes
Plus tard, les intervenant-e-s Pedro Palma (chercheur à l’Empa) et Katharina Sroka (doctorante à l’ETHZ et à l’Empa) se sont également penché-e-s sur la robustesse, et par conséquent la sécurité, des constructions. Dans leur conférence commune, tous deux ont fait part de leurs recherches et de leurs résultats. « Il faut savoir que le concept de la structure porteuse est décisif », a souligné M. Palma, avant de lancer un mot d’ordre : « La robustesse prime sur la sécurité structurale ! » On s’intéresse d’abord à la capacité d'une structure porteuse (et de ses éléments) à limiter les dommages et une éventuelle défaillance à des proportions acceptables par rapport à la cause. S’en est suivi un petit « horror show », terme utilisé par M. Palma lui-même pour décrire les photos de sinistres survenus sur des ouvrages après une défaillance de la structure porteuse : entre autres, un bâtiment tombé après des dommages dans le sous-sol, un pont démoli par la chute d’une structure en bois voisine et l’effondrement d’un coin de bâtiment après une explosion dans une cuisine au 18e étage. « Les conséquences d’une défaillance ne se limitent pas toujours à la structure, elles peuvent être plus étendues », a souligné M. Palma, et d’ajouter : « La défaillance disproportionnée est un processus qui commence par un danger. » Les dommages initiaux en sont la cause et il s’agit de les limiter. Si un système résiduel devient instable après un sinistre, le risque de scénarios imprévisibles augmente dans les systèmes complexes. Pedro Palma : « Par robustesse, nous entendons l’insensibilité aux dommages imprévisibles ayant pour conséquence une défaillance disproportionnée. » Katharina Sroka a évoqué pour sa part les mesures de prévention concrètes prises pour assurer une grande robustesse aux deux tours hybrides en bois HoHo Wien et H1 sur l’aire Zwhatt à Regensdorf, près de Zurich. Les mesures visant à limiter la propagation des dégâts sont notamment le contrôle de l’humidité du bois ainsi que des ancrages de traction et un chemin de charge alternatif pouvant être mis en œuvre en cas de défaillance d’un pilier. L’intervenante a invité l’auditoire à consulter le document Lignatec 37/2024 pour approfondir le sujet.
Projets en compétition
Dans le deuxième bloc d’exposés de la journée, quatre duos d’architectes et d’ingénieur-e-s étaient en compétition avec des projets de construction hors du commun, qui se révèlent durables à plusieurs titres : ils sont ou ont été réalisés en bois et accordent un rôle important à la préservation des ressources, à la recyclabilité et à l’utilisation de matériaux naturels. Rémy Odiet (Schaer Holzbau AG) et Hugues Thiébaut (Jaccaud+Associés) ont présenté un immeuble de dix étages en plein cœur de Genève. Initialement prévu pour être une construction massive fondée sur des éléments en béton préfabriqués, il a pu être converti en construction en bois peu avant le dépôt du permis de construire. Compte tenu de la taille du bâtiment, il s’agissait avant tout pour les ingénieurs en construction bois de réduire la multitude de détails de construction pour simplifier et accélérer le montage.
Le projet « Boulodrome de Renens », situé dans un parc, s’est surtout focalisé sur le réemploi d’éléments de construction. Dans ce cas aussi, la conception reposait d’abord sur l’utilisation de béton avant que le choix ne se porte sur une construction en bois, ont expliqué Clara Barreau (Société Coopérative 2401) et Anna MacIver-Ek (MacIver-Ek Chevroulet). Les murs d’une structure en béton démantelée à proximité servent désormais de supports à la structure en treillis de bois qui la surmonte et qui semble presque suspendue. « Nous voulions qu’elle évoque le cercle de pierres de Stonehenge, coiffé d’une superstructure en bois légère », a expliqué Anna MacIver-Ek. « Avec notre approche low-tech, nous avons conçu quelque chose que vous pourriez bricoler dans votre garage. Cela ne l’empêchera pas d’être un magnifique bâtiment », a prédit Clara Barreau.
Le projet présenté par Klara Jörg (Baubüro in situ) et Simon Schubiger (B3 Kolb AG) portait sur une densification urbaine par surélévation à Zurich. Le bâtiment existant, une vaste construction massive utilisée comme atelier, a été relevée d’un étage et demi additionnel (espaces d’atelier avec galeries) grâce à un toit en dents de scie en bois. « Il a fallu garder continuellement en tête la question de la proportionnalité des couts », a expliqué Klara Jörg. « Les chevrons en bois de la charpente existante avaient pris l’eau aux extrémités et présentaient déjà des délaminations », a ajouté Simon Schubiger. La surélévation repose sur un concept de structure porteuse avec un treillis en bois qui transmet directement la force, au moyen de diagonales de compression au centre du bâtiment, vers les fondations porteuses. Il a ainsi été possible de réutiliser les chevrons existants et de soulager les fondations extérieures. Le toit en dents de scie en bois, muni de fenêtres orientées au nord, a été doté d’installations photovoltaïques. Le verre des fenêtres de classe B pouvait encore être utilisé grâce à un nouvel encadrement. La découverte fortuite de 1000 mètres carrés de tôle trapézoïdale bleue sur une plateforme de vente en ligne a permis de réaliser une façade remarquable. La construction marque encore des points avec ses murs extérieurs constitués de paille et d’argile.
Si les trois projets ont fait impression, l’auditoire a néanmoins voté pour le quatrième : une construction contemporaine en bois dotée d’un toit de chaume. L’architecte autrichien Gilbert Berthold, installé en Suisse, a planifié une maison d’habitation privée dans le Burgenland autrichien pour son ami Jacobus van Hoorne, artisan couvreur. Cet ex-physicien des particules au CERN, à Genève, a repris plus tard l’entreprise familiale en tant que couvreur spécialisé dans les toits en roseaux. L’utilisation de ce matériau était donc une évidence. « Le roseau est un bon exemple de matière première durable », a souligné Gilbert Berthold. « Il apporte une contribution écologique en tant que plante, offre de très bonnes valeurs d’isolation à titre de matériau de construction et a une durée de vie de plusieurs décennies s’il est correctement installé. Enfin, il peut être trié et composté. » La construction en bois elle-même a également convaincu les participant-e-s à la Journée de la construction bois par sa durabilité et ses détails architecturaux.
Transfert de connaissances compact
Parmi les autres exposés, on notera celui d’Isabel Engel (Haute école spécialisée bernoise) et Reinhard Wiederkehr (Makiol Wiederkehr AG) consacré aux prescriptions suisses de protection incendie 2026, celui de Thomas Wehrle (Erne AG) sur la construction durable avec du bois, de l’argile et des matériaux naturels dans des systèmes hybrides, et celui de Daniel Kellenberger sur la norme SIA 390/1. L’auditoire a en outre pu assister à un échange sur l’intelligence artificielle dans la construction bois en présence du professeur Ronny Standtke et de Paco Mähli (Haute école spécialisée bernoise). La journée a donné lieu à un transfert de connaissances compact, composé notamment de quatre autres présentations de projets effectuées en duo : Matthias Ruf (Staufer & Hasler Architekten AG) et Stefan Bischoff (Blumer-Lehmann AG) ont présenté le Klangwelt du Toggenbourg, un bâtiment sonore qui s’est révélé un projet de construction incroyablement exigeant. Laurent Saurer (Localarchitecture) et Jonathan Krebs (Ingphi SA) ont proposé un parcours visuel à l’auditoire autour du chantier du complex multisports de Colovray. David Häring (Häring Timber Technology AG) et Matthias Spalinger (Holzprojekt AG) ont emmené leur auditoire aux Pays-Bas, où ils travaillent sur une vaste extension de bâtiment et de nouvelles constructions pour la banque ABN Amro. Enfin, Nicolas Barthès et Xavier Géant (tous deux du Studio Lada) ont présenté des constructions en bois innovantes réalisées en France. Les modérateurs Cornelius Oesterlee et Stanislas Zimmermann ont ensuite pris congé des participant-e-s à la manifestation avant de les inviter à un apéritif.
Save The Date 2026
La 19e Journée de la construction bois Bienne aura lieu le 10 septembre 2026.
Informations complémentaires : bfh.ch/ahb/journeebois (disponibles dès octobre 2025)
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