Questions à Max Frischknecht, doctorant à la HKB 

04.10.2023 Max est designer, programmeur et chercheur. Sa thèse de doctorat consiste dans la visualisation numérique d’archives culturelles. L’intérêt de sa démarche ? Laissons-lui la parole.  

Max Frischknecht im Portrait, lange Haare zusammengebunden, Schwarzes Shirt, vor Laptop sitzend

« Les archives culturelles ne sont pas neutres, elles sont elles-mêmes marquées par des critères culturels. »

En pensant design, on ne pense pas nécessairement programmation. Quel est le lien entre ces deux disciplines ?

La programmation est une technique récente. Le design a, depuis toujours, été influencé par les technologies nouvelles. On le voit par exemple dans le domaine du design des produits : ce sont par exemple les nouvelles techniques qui ont permis de créer la chaise à piétement luge. Le code est la nouvelle technique de notre époque, qui déborde à présent sur les arts. Programmer est devenu une activité essentielle. Notre monde est numérique. Et je suis certain que c’est un avantage si les personnes qui savent utiliser les ressources numériques dépassent l’horizon technique. 

Car les designer ont l’habitude d’interroger les besoins des humains, ils posent des questions telles que : « Comment l’être humain est-il assis ? » « Que lit l’être humain ? » Ce type de réflexion, associé à une distance critique, ont un effet positif sur la numérisation.

Tu consacres ta thèse de doctorat à la visualisation d’archives culturelles. Peux-tu m’expliquer en quelques phrases de quoi il s’agit ?

Ce projet de recherche est une coopération entre la HKB, les universités de Bâle et de Berne ainsi que de la Société suisse des traditions populaires. Cette dernière dispose d’archives visuelles importantes, constituées de différents fonds, qui documentent la culture suisse. 
Notre projet, «Participatory Knowledge Practices in Analog and Digital Image Archives», est consacré à la création d’une plate-forme numérique qui permettra de rendre une partie de ces archives accessibles au et utilisables par le grand public.

Je vais provoquer un peu : visualiser des archives culturelles numériques, ça semble un peu aride. Qu’y a-t-il de si passionnant ? Et pourquoi est-ce si important ?

Si tu penses à des archives au sens classique du terme, et que tu te retrouves dans un bâtiment urbain rempli de fichiers et d’étagères, tu vas droit dans le mur si tu ne connais pas les lieux. Comment veux-tu t’y retrouver sans expertise ? En même temps, comme il s’agit d’un institution publique, tu devrais légitimement pouvoir y accéder. Le but de notre travail de numérisation consiste justement à rendre cet accès plus facile. 

Dans ma thèse, je me penche sur un problème concret : la visualisation de données est souvent perçue comme une démarche objective. En regardant une visualisation, je peux avoir le sentiment de voir « la vérité ». Pourtant, il y a des lacunes, des choses qui manquent, surtout dans les archives culturelles. 
 
Par exemple, si on représente une majorité de contenus générés par des hommes, on peut avoir l’impression que les hommes ont publié beaucoup plus que les femmes ou alors que les contenus publiés par les femmes ont été moins systématiquement collectionnés. Les archives culturelles ne sont pas neutres, elles sont elles-mêmes marquées par des critères culturels. Lorsque tu visualises des archives des années 1950, tu visualises aussi la conception du monde des années 1950.
 
Mon objectif est précisément de trouver des formes de visualisation qui permettent d’appréhender les archives davantage comme une perspective qu’une représentation de « la vérité ». 

« Toute visualisation est un argument. »

Ça me semble un peu abstrait. Concrètement, comment cette approche se manifeste-t-elle?

Pour réaliser le prototype sur lequel je travaille actuellement, je recours à la conception générative. Cela signifie que lorsque je visualise quelque chose, je n’élabore pas une variante unique, mais une série de variantes. Je crée une vue d’ensemble puis j’analyse le glissement de sens qui intervient entre les différentes variantes.

Toute visualisation est un argument. Comme dans le cas d’un texte, quand on justifie une affirmation à l’aide d’arguments pour la rendre pertinente. La conception générative est un cadre au sein duquel on exploite les arguments possible afin de décider de manière plus consciente. En même temps, cette approche donne la possibilité aux usagères et aux usagers d’explorer différentes visualisation et de se forger leur propre opinion.

En d’autres termes, en ma qualité d’utilisateur ou d’utilisatrice, j’ai finalement le choix entre différentes représentations ?

Exactement. En ce moment, je travaille sur un prototype d’atlas numérique de la Société suisse des traditions populaires, c’est-à-dire plus de 300 cartes et autres documents consacrés à différents thèmes tels que le travail, les métiers, la superstition, la religion. Nous développons différentes approches pour cette version numérique : par la carte, par une question ou encore par une source sous-jacente à la carte. Ces différentes approches te permettent de comprendre comment l’information consignée sur la carte a été obtenue. On comprend aussi que ce qui est représenté sur les cartes est le résultat d’un long processus et non la représentation « objective » de quelque chose qui existe sur le terrain. 

«Als Designer werde ich dadurch eher zum «Facilitator», zum Ermöglicher.»

Tu as étudié dans différentes hautes écoles. Tu as obtenu ton bachelor à la FHNW et ton master à la HKB ; tout récemment, tu étais au MIT et à présent, tu es doctorant au Institute of Design Research de la HKB et en humanités numériques à l’Université de Berne. Quelle impression la HKB a-t-elle fait sur toi ?

Quand j’ai commencé mon master à la HKB, ma perception du design a fondamentalement changé. Auparavant, j’avais une idée plutôt classique : le designer conçoit des choses, c’est une sorte d’artiste qui a des super idées. À la HKB, c’était un autre son de cloche. On te disait, ok, tu développes quelque chose, mais quel sera l’effet de cette chose sur la société ? Et si tu développes quelque chose pour un public particulier, en as-tu parlé à ces gens ? Est-ce que ton résultat leur apporte quelque chose? Ou est-ce que ton idée se base sur tes idées préconçues ?
 
En ma qualité de designer, je deviens plutôt une sorte de facilitateur, qui collabore avec des personnes et qui « traduit » des idées. Je deviens quelqu’un de sensible aux besoins des êtres humains.
 
Je trouve qu’à l’époque actuelle, cette conception du métier est plus adéquate que celle, traditionnelle, inspirée par l’idée du génie créateur porté aux nues. La pensée critique était le fil rouge du curriculum de master en design à la HKB et ça m’a convaincu.

L’entretien a été mené par Linus Küng